Les islamo-salafistes ont eu gain de cause. Le gouvernement a reculé face à leur pression : la disposition n’exigeant plus l’autorisation préalable aux grossistes pour commercialiser l’alcool a été suspendue. «Il ne faut pas perdre de vue que quand une loi est impopulaire, il faut savoir reculer », a piteusement expliqué sous anonymat un représentant du pouvoir cité par El Watan de mercredi.
En fait, le pouvoir a capitulé devant des gens qui se sont érigés en "père-la-morale", dictant ce qui est bon ou non (hallal ou licite) pour les Algériens. Il a battu en retraite devant des gens qui osaient à peine lever la tête à la veille de la promulgation de la loi sur la concorde civile, cette loi qui, en fin de compte, les a réintroduits dans l’espace socio-politique dont ils avaient été chassés. Chassés au prix d’immenses sacrifices : plus de 100 000 morts dont des centaines d’intellectuels, d’hommes de lettres, de journalistes, d’artistes, de militantes et militants de la société civile et de syndicalistes. Et plus de 20 milliards de dollars de dégâts et l’exil des élites du pays. Est-ce le vil prix payé aux islamo-salafistes pour les calmer alors que par ailleurs, ce même pouvoir n’hésite pas à sortir la matraque contre les anti-gaz de schiste, les chômeurs et contre ceux qui demandent plus de liberté et de justice sociale ? Et qu’escompte-t-il en contrepartie ? Que les barbus rentrent dans le rang ? Une chose est sûre, la reculade des autorités en appellera certainement d’autres : ainsi après cette première "victoire", les islamistes seront enclins à pousser leur avantage. Après avoir déjà reconquis une partie du terrain perdu depuis la fin des années 1990 grâce à l’indulgence complice du pouvoir politique, ils vont dès lors exiger plus de concessions du pouvoir actuel. Ce dernier (le pouvoir politique), déjà éclaboussé par une série de scandales, enferré dans une impasse politique aggravée par le 4e mandat d’Abdelaziz Bouteflika, et qui a fait montre d’une imprévoyance coupable – il n’a pas vu venir la baisse du prix du baril de pétrole – en faisant des promesses mirobolantes d’amélioration sociale qu’il ne pourra pas tenir, sera contraint de revoir ses prévisions à la baisse avec toutes les conséquences sociales prévisibles. Et de ce fait, il sera sans doute enclin à céder aux islamistes en contrepartie de leur soutien pour calmer et détourner le mécontentement populaire. Et dans ce registre, les barbus, qui ne sont jamais en manque d’imagination, sauront jouer les pompiers en allumant des contre-feux pour détourner les Algériens des vrais enjeux de développement et de société et du nécessaire changement socio-politique. Leurs cibles sont les mêmes que celles du pouvoir politique, à savoir tous ceux qui sont porteurs de démocratie, de progrès et de justice sociale. A commencer par ces femmes qui n’acceptent pas un statut de non-citoyenne. Et contre qui, les imams cathodiques sévissant en toute impunité sur ces chaînes de télé privées, mènent déjà campagne. Les jeunes, du moins ceux qui essayent de faire bouger les choses, comme les comités de chômeurs, le mouvement Barakat, dont la leader Amina Bouraoui a déjà été pointée par les islamistes. Les journalistes et les intellectuels…, et ceux qui se battent inlassablement pour l’identité amazighe. Mais avant d’en arriver là, les barbus vont exiger du pouvoir des "petites choses" qui ne lui coûteront rien comme, par exemple, l’interdiction définitive de l’alcool, des fêtes, la transformation de la police en « police des mœurs » comme l’avait d’ailleurs demandé le wahabbite Abdelfatah Ziraoui. Ainsi donc, après avoir fait de l’Algérie un terrain d’expérimentation de la violence islamiste, 20 ans avant l’avènement de Daesh, le pays va peut-être vivre de nouveau des moments difficiles.